mardi 25 novembre 2014

Ma malédiction - 2008

Bonjour bonjour ! Quoi de neuf ? Pas grand chose à priori.
Je viens aujourd'hui partager un des mes premiers plus longs textes. Peu de choses à dire, c'est toujours de l'improvisation. L'idée vient, je commence à écrire et la suite... suit.

Bonne lecture éventuelle.





Ma malédiction



J'ai été choisi pour ce métier, ou plutôt pour cette malédiction...

Cela fait bien longtemps maintenant.
J'ai cessé de compter les années depuis tant de temps.
J'ai cessé de réfléchir, de penser même, cela valait mieux... 

Mon histoire débute bien avant la vôtre. Je suis né au milieu du 17e siècle. À l'époque, les gens de mon rang se fichaient des dates exactes, seuls comptaient les saisons et les mouvements de la lune pour les semis et les récoltes. Hé oui, ce doit être difficile pour vous d'imaginer que je sois né quelques siècles avant vous, mais je vous rassure, je suis aussi mort quelques siècles avant vous. 

Bah, je dois bien vous avouer que mon enfance n'était pas spécialement triste, voici encore quelque chose qui doit vous dépasser. Comment un enfant peut-il être heureux en habitant dans une cabane en bois, sans eau courante ni électricité, sans sa télévision ni sa console, en mangeant du pain et des pommes de terre à tous les repas ? 

Et pourtant, je l'étais. 

Oh évidemment, je ne jubilais pas, mais je ne demandais rien de plus, même en voyant ces nobles et leurs beaux habits.
J'étais heureux quand j'allais simplement pêcher avec mon bambou et mon fil à cent lieues de vos cannes en carbone ultra légères de douze mètres de long. Nous nous levions à l'aube et allions travailler jusque tard. Mais, mes parents me laissaient beaucoup de temps libre, ils disaient « tu auras tout le temps de travailler le restant de ta vie, profite de ta petite enfance ». Je crois que très peu, en ce temps, pensaient ainsi.

Je les aimais, vraiment.
Et ils m'aimaient.

Telle était ma petite vie tranquille au temps de vos lointains grands-parents.

Je devais avoir dix-huit ans quand je l'ai croisée. Elle en avait quatre de moins. Oui, cela peut vous choquer, mais à cette époque pas du tout, et puis aujourd'hui au final, on voit des différences d'âge bien plus grandes. Alors pourquoi pas ? Elle était si belle, déjà à son âge, et moi si timide... Je l'ai recroisée plusieurs fois les jours suivants, toujours incapable de rompre mon silence quand elle me fixait avec son si joli sourire en passant. 

Puis, un dimanche, mon seul jour de repos, je pêchais tranquillement dans la petite rivière non loin de notre maison. Elle passa là en rentrant chez elle et décida de se poser sur le bord en face de moi. Je devais être rouge comme jamais. J'évitais son regard, j'évitais de la fixer bêtement, mais elle me fixait, toujours avec son sourire à réveiller les morts.
C'est elle qui rompit se long et bête silence de plusieurs minutes en disant simplement : « Ça mord ? ». Je sursautai stupidement, mon pied perdit son appui et je m'étalai de tout mon long dans la rivière, qui ne faisait qu'une cinquantaine de centimètres de profondeur. Je relevai la tête, toujours dans la rivière, elle me regardait, un grand sourire illuminant son merveilleux visage, et je réussis enfin à dire quelque chose. Peut-être parce que je ne pouvais pas avoir l'air plus bête que là, étalé dans l'eau froide, et je dis : « oui ça peut aller » en souriant bêtement.

Elle éclata de rire, et moi aussi, un long fou rire, qui ne fut que le premier.

Deux ans, oui, deux années auprès d'elle, la fille la plus belle et douce qu'il soit. Deux années durant lesquelles j'étais sans aucun doute l'homme le plus heureux de cette terre. 

Je l'aimais tant.
Elle m'aimait tant.
Nous nous aimions, et adorions plus que tout au monde.

Elle était ce que j'avais de plus précieux. 

Nous avions déjà prévu de nous marier deux mois après ses 16 ans et de nous installer dans une petite maison sur les terres de mon père. 

Tout était si beau.

Je crois que c'est elle qui faisait ça, elle avait un pouvoir magique, je pense, car elle rendait tout beau autour d'elle. Tout devenait plaisant, même la messe du dimanche ne m'ennuyait plus à mourir, Sûrement parce que je ne regardais qu'elle et ne pensais qu'à notre vie future, nos enfants, notre bonheur. Aussi, elle avait la capacité de faire sourire, de faire s'arrêter de pleurer, et de rendre joyeux n'importe qui, juste en lui souriant. Tel était son pouvoir.

Puis vint ce jour. 

Je m'en souviens parfaitement. C'est un des rares souvenirs que je suis incapable d'occulter…
Ce mardi, un peu avant midi, quelques soldats vinrent au village, chose plutôt rare. 

Ils venaient chez nous… 

Le souverain de notre région avait décidé d'exercer son droit de cuissage ! Avec ma douce ! Nous ne pouvions pas nous y attendre, car il n'avait rien à faire des paysans et ne semblait plus vouloir jouir de ce droit depuis quelques années.
Mais alors pourquoi ? Comment ? Bien sûr, je ne les laissai pas faire, mais je n'étais pas de taille face à une dizaine de soldats.
Ils partirent avec ma princesse qui pleurait et hurlait, les suppliant de la laisser, me suppliant de la sauver…

Elle qui était si douce et pure…

Sa besogne finie, son bourreau me la renvoya, cinq jours après. Les cinq plus longs jours de ma vie. Plus longs que les siècles qui nous séparent… Elle revint.

Son sourire envolé.
Ses yeux éteints…

Elle refusait que je la prenne simplement dans mes bras, traumatisée, marquée, se sentant si sale…

Déshonorée… 
Et… Puis… 
Treize jours après son retour, elle mit fin à son calvaire…

Je travaillais aux champs, quand je sentis mon cœur s'arrêter l'espace des quelques secondes… Je savais qu'il lui était arrivé quelque chose et je courus plus vite que jamais je n'avais jamais couru auparavant. Même après dix heures à labourer. Mais, arrivé à notre maison, il était trop tard. 

Son cœur à elle s'était arrêté définitivement… 

À partir ce cette seconde, je sombrai dans le mutisme le plus total. 

Elle était mon joyau, mon trésor, ma princesse, ma vie… 
Et pourtant, elle s'était éteinte… 

Tout ça pour le plaisir d'un vieux crasseux, qui mange sa soupe avec une cuillère en argent. Je n'avais plus qu'une idée en tête, laver son honneur. Peu importait le moyen. Je luttais chaque jour, chaque heure, chaque minute, chaque seconde, pour ne pas mettre fin à mes jours, dans l'espoir de la rejoindre. Pas tout de suite.

Un voisin, fermier, pauvre comme nous, avait étrangement reçu une bonne somme d'argent pour « service rendu ». Il avait auparavant essuyé plusieurs refus de ma douce face à ses avances. Et là, je compris, oui je compris comment ce pouilleux avait rendu service. Comment le bourreau de ma bien-aimée avait eu vent de sa beauté, de son innocence et de notre mariage…

Le feu douloureux qui me consumait chaque jour depuis sa mort se transforma en brasier de haine et de colère. Envers cet homme qui n'en méritait pas l'appellation, ou peut être qui en était justement le digne représentant. 

Et, cette nuit-là, je me suis relevé. 

Je crois que c'est la colère qui contrôlait mon corps, car je ne me souviens pas avoir pris ce hachoir dans le tiroir, ni avoir marché jusqu'à la maison de ce fermier nouvellement aisé. Je me revois seulement devant son cadavre, égorgé, étripé et écorché, sur le sol, baignant dans une marrée rouge et visqueuse, auprès des cadavres tous aussi mutilés de sa femme et de son fils de l'âge de ma belle. 

J'avais juste épargné son plus jeune fils, d'environs quatre années. Je voulais qu'il vive vieux. Qu'il vive avec cette vision gravée dans son esprit. Qu'il porte durant sa vie entière le fardeau laissé par son effroyable géniteur. 

Ensuite, je me souviens à peine d'avoir été jusqu'au château. M'y infiltrer fut ridiculement facile. Peut-être que le sang qui me recouvrait depuis quelques heures faisait office camouflage dans la nuit… 
Je suis arrivé jusqu'à la chambre du souverain sans encombre. En le voyant, ronflant dans son lit, entouré de deux femmes aussi grasses et dégoûtantes que lui, je ne pus m'empêcher de sourire, devant cet être si pitoyable.

Le sang gicla. 

Ils n'eurent pas le temps de crier. Je leur avais tranché la gorge avant qu'ils ne le sentent. Enfin, si, ils criaient, mais ce n'était qu'un râle guttural que personne n'entendrait en dehors de cette pièce. Une marrée rougeâtre envahi le tapis qui valait certainement plus cher que mes terres. Un mélange de sang, de graisse et d'entrailles qui me fit vomir. 
Je quittai le château aussi facilement que j'y étais entré.

Un orage grondait dehors.

Je n'avais jamais été un mauvais garçon, toujours droit, jamais volé, très peu menti, et jamais à ma belle, très peu de mots de travers. J'allais à l'église comme tout le monde. Je travaillais… Oui, j'étais un bon gars, comme disait mon père, si fier de moi. 
Un gars bien. Jusqu'à cette nuit.

Je ne suis pas sorti de mon lit ni ne me suis lavé durant deux jours. Je ne pouvais pas vivre, pas avec ça sur la conscience, et surtout sans elle…
Le troisième jour, je me levai et lavai enfin puis me dirigeai vers la chapelle, sous un orage étonnant de colère. 

Des trombes d'eau tombaient du ciel dans un vacarme assourdissant. 

À la chapelle, il n'y avait personne, tant mieux. Je tombai à genoux, trempé, en pleurs devant cette statue d'un homme que nous devions vénérer tel un dieu, tel LE Dieu… 
Je suppliai le pardon et surtout la fin de mon tourment. Clamant être prêt à tout pour l'obtenir, et pour la revoir, rien qu'une fois… Mais, évidemment, la statue ne pipa mot, ce n'était qu'une statue, après tout, et malgré les pleures, je, ris devant ma stupidité. 

J'étais pitoyable. 

Je repartis en direction de ma maison, mais n'y arrivai jamais.
Je crois que j'ai été frappé par la foudre. Je me souviens uniquement d'une voix profonde résonante dans ma tête et de moi répondant « j'accepte ».

Et me voilà aujourd'hui, toujours là. Vous ne me voyez pas, pourtant, vous m'avez tous déjà croisé. Je me téléporte aux quatre coins du monde. Je ne suis pas le seul, nous sommes des dizaines, peut-être des centaines, de maudits… 
On m'ordonne chaque seconde une tâche différente. Un accident, une jeune femme, un junky, un bébé, un vieux monsieur… Je travaille vingt-quatre heures par jour, tous les jours, depuis cet orage durant lequel j'ai trouvé la mort. Je porte le même habit depuis ces siècles.

Je ne mange plus, ne dors plus, ne bois plus, ne vis plus… 

Mon métier ?
Ma malédiction ?
Mon nom ? 
C'est simple, appelez-moi Ankou.



Frog

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